Association Marocaine des Enseignants de Français

Dialogue intergénérationnel et transmission du métier, des enjeux pressants

Madame Doina Spiță, Vice-présidente de la FIPF évoque l'urgence d'éveiller la vocation d'enseignant de français chez les jeunes. Pour cela, elle rappelle l'objectif de la FIPF de vouloir encourager les initiatives de ses associations membres.

Le billet de la Vice-présidente : Dialogue intergénérationnel et transmission du métier, des enjeux pressants.

Dans le contexte des grandes mutations socioculturelles et éducatives dues à la mondialisation, le besoin de perfectionnement de la formation initiale et au-delà est devenu une exigence incontournable. En fait, le problème de la formation est beaucoup plus complexe. D’un côté, on assiste dans la plupart des régions du monde et surtout en Europe au vieillissement du corps professoral actuel qui est de plus en plus proche du départ à la retraite. Un départ programmé, qu’on estime à des milliers d’enseignants de français langue maternelle ou étrangère. Ces grosses cohortes, il faudra les remplacer, autrement les chefs d’établissement décideront d’attribuer les postes à d’autres matières, voire d’autres langues, tandis que les demandeurs de français risqueront de rester sur leur faim. De l’autre côté, on est en situation de constater qu’au-delà du désintérêt significatif des étudiants en langues pour développer une carrière enseignante, lorsque le choix est quand même fait, le nombre de jeunes diplômés choisissant le métier d'enseignant de français ne cesse de diminuer, tandis que le niveau linguistique de bon nombre d’entre eux se dégrade et entraîne automatiquement la dégradation du niveau des apprenants. Les universités devraient revoir leurs copies, et repenser, certes, l’offre académique et leurs exigences. Mais c’est aussi une question de motivation, car, interrogés, les futurs enseignants de français donnent des réponses mitigées : le « plus beau métier du monde » n’est pas le plus rémunérateur, mais il assure la sécurité de l’emploi et un revenu régulier.

Dans ce bilan succinct et contrasté, une conclusion s’impose : notre action doit s’intensifier en direction des jeunes, actuels ou futurs professeurs de français. C’est avec eux que se gagnera le seul combat qu’il y a lieu de mener, celui en faveur d’un enseignement de qualité. La FIPF entend attirer l'attention des responsables politiques et éducatifs sur cette question et propose de réfléchir et de construire avec ses associations membres, avec vous, des actions spécifiques à cette question générationnelle. Il y a deux mois, à Aracaju, participant au Congrès de la Fédération Brésilienne des Professeurs de Français, j’étais frappée par une image devenue, dans mon esprit, un symbole de ce que c’est la transmission du métier : trois collègues, dont l’un avait été le professeur de l’autre et qui faisaient équipe. La transmission du métier est une question d’empathie, certes, et elle peut se produire de manière informelle, à travers le fluide du partage et l’émotion de la découverte, mais elle peut se produire aussi de manière formelle, à travers des programmes systématiques d’accompagnement institutionnalisé. On les appelle « tutorat ». Le métier « rentre » pendant que l’un donne et que l’autre reçoit et accumule. C’est une des meilleures solutions pour pallier au sentiment d’insécurité dû à la fragilité de la formation initiale, trop théorique, souvent superficielle et insuffisante, une insécurité  qui explique pour bon nombre de débutants dans le métier leur réticence.

Pas mal d’associations y pensent constamment et nous en avons retenu quelques exemples. Dans l’effervescence d’un congrès majoritairement jeune, la Fédération brésilienne a déclaré son intention de développer un projet spécifique à l'attention de cette catégorie d’âge. Une idée similaire a été évoquée lors des réunions "stratégiques" en marge du congrès de Kyoto : l'idée de faire créer par les associations un "kit" pour le nouvel enseignant de français. Ce kit pourrait se fonder sur un document général produit par la FIPF, qui serait ensuite adapté dans chaque pays. Il contiendrait des informations de base au soutien des jeunes enseignants, des informations pédagogiques, mais aussi sociales : déroulement de carrière, possibilités de formation continue, d'accès à des ressources, etc. L'association béninoise songe à des activités d'intégration des nouveaux enseignants sous la forme de réunion ou cérémonie d'accueil des nouveaux professeurs de français. L'association marocaine envisage un système d'accompagnement des jeunes professeurs, sous la forme d'un mentorat assuré par un membre expérimenté de l'association, et cela dès la formation initiale. Et les exemples peuvent continuer.

Dans la pratique, la transmission ne se produit jamais à sens unique. Les jeunes (ou moins jeunes) sont aussi en mesure d’apporter des connaissances à leurs tuteurs « expérimentés ». La transmission intergénérationnelle traverse le temps dans les deux sens, elle se vit dans l’interaction présente. Heureusement, car le besoin de prendre un coup de jeune est permanent pour la population enseignante, pour laquelle garder sa jeunesse est un devoir de métier.

Doina Spiță

Vice-présidente de la FIPF